Odile Azagury, en corps libre

Odile Azagury. 73 ans. Danseuse et chorégraphe. Co-fondatrice de la compagnie du Four solaire à Paris, des Clandestins à Poitiers. Disciple de Carolyn Carlson, complice de feue Anne-Marie Reynaud. Engagée de naissance, généreuse par nature. Libre.

Claire Brugier

Le7.info

« C’est le bazar, s’excuse Odile Azagury, plus pour la forme… Il ne faudrait pas avoir à déménager ! » Silhouette frêle et cheveux rouges, la danseuse et chorégraphe sourit. Elle n’a de toute façon pas l’intention de quitter le quartier de Chilvert. Derrière un large portail métallique, au fond d’un jardin improbable sur lequel veillent des chats, l’Atelier Anna Weill déborde de sa vie, de ses amitiés, de ses souvenirs, de sa passion inoxydable pour la danse. A 73 ans, Odile Azagury se sent définitivement Poitevine. Paris désormais « [la] fatigue ». Quant au Maroc de son enfance, il continue de l’inspirer. Il a porté ses premiers pas de danseuse, elle la « fille d’architecte, petite bourgeoise qui a eu le privilège de prendre des cours de danse avec une professeure russe, à Casablanca ». L’école, trop peu pour elle ! « Je n’étais pas une élève brillante et… j’étais surtout très indisciplinée ! » Au point qu’elle se fait renvoyer de son lycée de Meknès et atterrit… à Paris, porte de Champerret, à l’Ecole supérieure d’études chorégraphiques. « Elle était tenue par un Russe blanc. On y apprenait la danse, la chorégraphie, la notation Laban… Tout ! » Et on y préparait même en trois ans 
« un diplôme pas du tout reconnu par le ministère ». Qu’importe, Odile ne voulait pas enseigner, elle voulait danser. Elle avait 17 ans, elle avait grandi -avec une sœur- entre un père d’origine juive séfarade et une mère ashkénaze, dans une famille ouverte sur les arts, communiste et athée, façonnée aussi par la tragédie des camps de concentration. Et on était en 1968. « Ils m’appelaient tous camarades, je ne comprenais rien… » Rien sauf la danse. Et les rencontres, comme celle avec Catherine Atlani qui l’entraîne en 1971 dans l’aventure des Ballets de la Cité. 


Avec Carolyn Carlson

« J’ai découvert la scène et la création. On jouait partout, dans des salles de restaurant, sur des terrains de pétanque… C’était très expressionniste, très sentimental, avec de grandes euphories. Cela me correspondait, chacun pouvait développer son univers, raconte Odile d’une voix rauque et chaleureuse. Et puis Carolyn Carlson a déparqué à Paris, comme une bombe ! Et on s’est accroché à elle et à ses cours, rue du Bac. Elle nous parlait de temps, d’espace, d’énergie. De concept alors que nous étions sur le mouvement. La dimension du corps devenait onirique. » Un nouveau monde s’ouvrait, politique et poétique, que la danseuse n’a plus jamais cessé d’explorer. Lorsque la chorégraphe franco-américaine, figure reconnue de la Jeune danse française, a créé le Groupe de recherche théâtrale de l’Opéra de Paris (GRTOP), elle a drainé dans son sillage une partie de la joyeuse troupe. « Grâce à elle nous sommes entrés à l’Opéra de Paris par la grande porte. »

 

« Nous sommes allés danser partout »

Cinq ans plus tard, Carolyn Carlson voguait vers la Fenice à Venise et Odile créait avec Anne-Marie Reynaud Le Four solaire, « un collectif, avec des gens de gauche, très militants. Nous sommes allés danser partout, dans des supermarchés, des marchés couverts, des rues, des trains… » Jusque sur les quais de Seine. Nom de code : Danseurs tous en Seine, « 400 danseurs pour une vision éphémère sur les 7km de berges », résume Odile, fière de ce « manifeste » brandi en 1983 et 1984 mais escamoté par une grève des mariniers l’année suivante. 

En 1989, Anne-Marie Reynaud ayant pris la tête du centre chorégraphique de Nevers, Odile s’installe à Poitiers et, poussée par le ministère, fonde sa propre compagnie, Les Clandestins, toujours « pour défendre l’espace public comme un espace théâtral ». Elle crée sans relâche, des spectacles, des performances, un voire deux par an, en milieu rural de préférence. Elle devient maman aussi, « à 40 ans ! », et ouvre en 1992 « un lieu de résidence et d’enseignement ». 
L’Atelier d’Anna Weill est un lieu de vie pour son mari, ancien ingénieur à la RATP, et elle, mais aussi un lieu de partage. Odile est « généreuse dans tout », glisse sa fille Yvane. L’artiste fonctionne aux coups de foudre, dans sa cuisine aux saveurs épicées comme avec ses « amis magnifiques ». 


Projets parallèles

Le temps de l’entretien, la grande porte vitrée laisse entrer une amie, une infirmière, une danseuse venue travailler sur Les Eperdues, une histoire de femmes et d’amour à découvrir en avril lors du prochain festival A Corps. En parallèle, Odile couve quelques autres projets. En période de création, elle s’autorise des sorties dans les salles obscures mais s’impose une diète du spectacle vivant. « Ça me déplacerait. On est très poreux et je peux être très influençable. » C’est que ce petit bout de femme est accro aux émotions au moins autant qu’à la cigarette et au collectif. « Faut que ça raconte, que ça cogne, que ça prenne aux tripes, avec de la distance quand même. » Et l’âge ne change rien à l’affaire. 
« Il y a dans ce que l’on me renvoie quand je danse quelque chose de l’essence de la danse, de fragile et fort. Aujourd’hui, je n’ai plus rien à revendiquer, juste à traverser, à être. » A la fois discrète et flamboyante.

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