Daniel Marcelli : « Choisir, ça s'apprend »

En voulant rendre leurs enfants autonomes dès le plus jeune âge, les parents leur offrent trop de choix. De quoi nuire à leur bon développement. C'est la thèse du pédopsychiatre poitevin Daniel Marcelli qui vient de publier Trop de choix bouleverse l'éducation (Odile Jacob), avec le psychologue Antoine Perrier.

Le7.info

Le7.info

De nombreux parents considèrent qu'il faut laisser le choix à leurs enfants pour construire leur personnalité et en faire des individus autonomes. D'où vient ce véritable phénomène de société ?
« Il faut comprendre que pour les adultes, la société est faite d'individus qui se sont émancipés de la tutelle du chef de famille, du patron. Ils sont passés de sujets à individus. Tout le XXe siècle est celui des conquêtes féministes pour atteindre le statut d'individu. A partir du moment où autonomie et choix sont devenus les deux critères essentiels de la vie, la question de l'éducation se pose. Peut-on enseigner la liberté à des enfants en les élevant dans des contraintes ? Doit-on leur refuser l'autonomie et le choix ? Pour beaucoup, ces valeurs sont devenues éducatives dans notre société. »

De votre côté, vous dites qu'il faut trouver un équilibre entre choix et frustration ? 
« Si vous posez juste 2g d'un côté d'une balance Roberval, vous n'êtes plus à l'équilibre. L'équilibre est une instabilité permanente. Sur le plan éducatif, il faut accepter cette instabilité, ajouter un peu de ceci et un peu de cela. Ne pas être dogmatique. Quand on applique systématiquement quelque chose, on est dans l'erreur. Avant on disait que les enfants étaient irresponsables et immatures, il ne fallait jamais les écouter. C'était tout aussi stupide. Aujourd'hui, on pense que les bébés sont compétents pour tout choisir, c'est tout aussi stupide ! Dans le livre, je donne un exemple que j'ai vécu à Poitiers. Une maman propose deux yaourts à sa fille de 2 ans qui ne peut pas savoir si elle préfère celui à la banane ou à la fraise. Au final, la petite demande celui de sa mère parce qu'elle l'a vue manger le sien avec plaisir. Sa mère m'a demandé si sa fille était caractérielle... Elle lui avait posé un diagnostic méchant alors qu'elle l'avait mis dans un embarras terrible ! »

Pourquoi faut-il apprendre à choisir ? 
« Demander à l'enfant de choisir, c'est lui laisser l'illusion que son désir commande le monde. Mais le désir est vicieux : à la seconde où il est satisfait, un autre désir apparaît. A la fin, c'est le désir qui devient important. Quand ils ont douze cadeaux, c'est le treizième qu'ils veulent. Je parle de tyrannie du désir et non d'enfant-tyran afin de montrer que l'enfant est lui aussi victime. Ca le rend malheureux. Au fur et à mesure qu'il va grandir, il va se confronter aux contraintes de la société, du rapport aux autres. Et à l'adolescence, aux contraintes de la transformation pubertaire. Le corps ne demandera pas son avis à l'ado. Ce dernier risque de voir ce phénomène comme quelque chose qui s'impose à lui et qui le met en colère. D'ailleurs, de nos jours, beaucoup d'ados sont en pétard avec leur corps de façon considérable. »

Toujours leur donner le choix entraîne-t-il une certaine peur de se tromper à l'âge adulte ? 
« Ces enfants ne sont jamais satisfaits. Au bout d'un moment, on remarque que ne plus choisir est une façon de garder le choix. Refuser le choix, c'est garder toutes les cartes en mains. D'autres sont tellement angoissés à l'idée de se tromper qu'ils préfèrent ne pas choisir. On observe ce phénomène notamment à l'arrivée à la fac quand ces jeunes, bons en tout, n'arrivent pas à choisir une filière qui représentent une amputation de leurs possibilités. Sauf qu'inéluctablement dans la vie, il faut choisir. Avoir la capacité de choisir, ça s'apprend. »

Votre livre est-il une remise en cause de l'éducation positive tournée vers l'écoute des besoins de l'enfant et vers son autonomie ?
« Mon livre est une remise en cause de l'application dogmatique de certains préceptes. Quand on est dans le « trop », on est dans la pathologie. Je suis d'accord pour que l'on tienne compte de l'avis de l'enfant et qu'on soit d'accord avec lui de temps en temps mais il n'a pas systématiquement raison, et l'adulte n'a pas toujours tort. Il faut savoir dire que l'enfant est trop petit pour décider lui-même. Quand on veut appliquer une recette toute faite en éducation, on se met le doigt dans l'oeil. »

A 10 ans, c'est encore récupérable ?
« La richesse de l'être humain, c'est que tout est récupérable, même si c'est plus dur à 10 ans qu'à 5 ans... On peut dire à l'enfant qu'on a lu ce livre qui nous a fait réfléchir, qu'on ne choisit pas tout dans la vie. Et aussi que dans deux ou trois ans, si tu n'acceptes pas la puberté, ça sera difficile pour toi. A son âge, ça laissera des petits cailloux blancs dans son esprit. »

 

 

À lire aussi ...